Monday, September 28, 2015

Un 29 septembre 1960
Par Chryso Tambu, publié le 29 septembre 2015

Plusieurs dates restent gravées dans la mémoire des Congolais, mais peu se souviennent d'un 29 septembre 1960. Ce jour-là, le chef de l'Etat et président de la République, Joseph Kasavubu, instaurait un "régime provisoire" avec la promulgation d'un décret-loi constitutionnel qui lui confiait enfin tous les pouvoirs jusqu'au 1er août 1964.

Dans son livre intitulé "The Congo Cables", Madeleine Kalb rapporte qu'à son retour de la radio nationale quelques instants après avoir annonçé la destitution du Premier ministre Patrice Emery Lumumba, Joseph Kasavubu, un ancien séminariste que les résidents de Léopoldville avaient d'ailleurs surnommé "roi Kasam" avec l'arrivé du Roi Baudouin la veille de l'"indépendance" mais que ses tuteurs américains qualifieront un peu plus tard de "légume", fait devant ses associés la déclaration "prophétique" suivante: "Le président a enfin parlé et Lumumba va mourir. Il peut mourir lentement mais il va éventuellement mourir".

Le "roi Kasam" faisait-il allusion à une mort politique ou physique?  Toujours est-il que le Premier ministre Patrice Lumumba connaîtra les deux sorts. Certes, politiquement, le décret-loi constitutionnel du 29 septembre 1960 (cfr.  http://www.droitcongolais.info/files/1.03.1.-Decret-loi-constitutionnel-du-29-septembre-1960.pdf) avait en effet comme but d'empêcher sa résurrection politique.

Il est évident que pour éviter de se soummettre aux exigences de la loi fondamentale du 19 mai 1960, le "roi Kasam" établit un nouvel ordre politique avec ce nouveau document. Il ajourne indéfiniment le parlement et dissous le gouvernement. Il crée un conseil des commissaires généraux dont les membres sont nommés et révoqués par lui. Et il sera décidé que le pouvoir législatif soit exercé par ce conseil des commissaires généraux et le pouvoir exécutif dévolu au Premier ministre et aux ministres respectivement par le président du Conseil des commissaires généraux et les commissaires généraux.

Le décret-loi constitutionnel du 29 septembre 1960, un document rédigé en marge de la loi fondamentale du 19 mai 1960 et mettant en cause l'équilibre des pouvoirs, aura ainsi officiellement marqué la fin de la démocratie et le début de la dictature au Congo-Kinshasa.

chryso45@hotmail.com


Saturday, September 5, 2015

Le soir du 5 septembre 1960
Par Chryso Tambu, publié le 5 septembre 2015

La situation requérait l’urgence, semble-t-il. Le président Joseph Kasavubu quitte sa résidence officielle du Mont Stanley le soir du 5 septembre 1960 et se rend à la radio nationale où, interrompant un programme régulier d’anglais diffusé à 20 heures, lit, à partir d’un brouillon, un communiqué dans lequel il annonce à la face du monde la destitution du Premier ministre Patrice Emery Lumumba, évoquant l’article 22 de la loi fondamentale du 19 mai 1960 imposée par le Parlement belge pour servir de cadre juridique provisoire. “Sa” décision était-elle conforme à la loi ou s’agissait-il d’un coup d’Etat?

L’article 22 de la loi fondamentale stipule que “Le chef de l’Etat nomme et révoque le Premier ministre et les ministres”. A première vue, le président Joseph Kasavubu semble avoir exécuté “son” action en conformité avec la loi, sauf qu’il a ignoré le rôle déterminant du Parlement dans un régime parlementaire (à l’opposé d’un régime présidentiel) et énoncé dans l’article 43 lequel prévoit les conditions et la procédure pour une mise en cause de la responsabilité d’un menbre du gouvernement.

Lorsque l’on réconcilie les deux articles (22 et 43), on se rend compte en effet que le chef de l"Etat n’a qu’un pouvoir théorique attaché à une fonction purement honorifique; c’est à dire, une prérogative considérée comme étant un honneur et/ou un privilège et non un droit. Et tous ceux qui sont d’avis avec Joseph Kasavubu ou qui ont prétendu avoir identifié une contradiction  entre l’article 22 et l’article 43 ou même fait allusion à une “crise constitutionnelle” tombent dans un piège avec une interprétation érronée qui fait de l’article 22 un droit.

Il sied de mentionner que malgré le caractère honorifique de la fonction du chef de l’Etat, la loi fondamentale, laquelle est tirée de la Constitution belge, lui reconnait néanmoins explicitiment  des droits par rapport au pouvoir effectif qu’elle lui attribue. D'ailleurs, cette nuance qui permet justement de mieux saisir le sens de l’article 22 est manifeste dans les articles 29, 30, 31 et 32. Par conséquent, la question que l’on devrait se poser est la suivante: si effectivement le chef de l’Etat détient le pouvoir de nommer et de révoquer le Premier ministre et les ministres indépendamment du Parlement - comme le suggèrent ceux qui partagent son point de vue - , pourquoi alors l'article 22 n'est-il pas aussi explicite que les autres au point de nécessiter une "loi interprêtative"?

Une parenthèse. On ne devrait pas non plus négliger une disposition particulière de cette loi notamment l’article 47 lequel présente un aspect particulier avec un précédent dans la nomination d’un Premier ministre étant donné que dans son communiqué le président Joseph Kasavubu informait l'opinion qu'il nommait en remplacement Joseph Ileo.

Il faut signaler par ailleurs qu'à la Table ronde à Bruxelles, les représentants officiels, y compris Moise Tshombe et Joseph Kasavubu, avaient trouvé un compromis qui a abouti à l'élaboration de l’article 43 de la loi fondamentale afin d'assurer la stabilité du premier gouvernement. Et très curieusement,  prétendant même dans son communiqué d'avoir examiné cette loi dans son entierté, le président Joseph Kasavubu choisit plutôt d'ignorer le rôle déterminant du Parlement à ce sujet et déclenche ainsi une crise constitutionnelle imaginaire. And the damage was done! Même s'il fallait que la cour soit saisie pour trancher sur la légalité de cette révocation, c'était déjà trop tard et irréparable.  Et la suite des évènements l'a confirmé.

Joseph Kasavubu réussissait donc son tout premier coup d’Etat le 5 septembre 1960!